Poems

Le goulag des mots

            Un nouveau goulag s'est ouvert. C'est le goulag des mots.
 
           Je m'y rends chaque semaine avec mon sac à provisions où je mets
quelques fruits de saison, une savonnette et deux boîtes de lait concentré. J'appelle un détenu au hasard et je vais attendre au parloir avec la foule gesticulante des visiteurs. Les mots sortent en file indienne d'une petite porte et se mettent devant nous de l'autre côté des grilles. Pâles. Tremblants. Hagards. Brisés.
 
            – Parlez maintenant, ordonne le gardien qui circule dans le couloir qui nous sépare, en tapant sur les grilles avec de grosses clés.
 
            Mais personne n'obéit. Les mots, parce qu'on leur a visiblement cassé la mâchoire. Les visiteurs, car ils découvrent subitement – ils auraient dû s'en douter plus tôt – que le goulag leur a pris leurs meilleurs mots.
 
            – La visite est terminée, crie le gardien en tirant un rideau que nous n'avions pas vu auparavant.
 
            Quelques mots à peine audibles fusent à ce moment-là, on ne sait de quel côté des grilles. Probablement des formules d'adieu.